Au travers de cette série d’interviews, nous vous invitons à découvrir certains des projets du labex CominLabs tout en en apprenant plus sur les sciences du numérique. Paul Couderc, chercheur au Centre Inria Rennes – Bretagne Atlantique, nous a parlé du projet auquel il a participé, Pervasive RFID et des domaines qu’il touche.
Qui êtes-vous ?
Je suis Paul Couderc, je suis chercheur Inria dans l’équipe-projet EASE au centre Inria Rennes. C’est une équipe dirigée par Jean-Marie Bonnin, et qui regroupe des permanents d’Inria, de l’Université de Rennes 1 et de l’IMT Atlantique. Son domaine de recherche concerne essentiellement l’IoT (Internet of Things ou Internet des Objets), les réseaux de capteurs et ce qui tourne autour du Pervasive Computing, avec une spécificité, nous privilégions plutôt des approches locales par rapport à celles, plus communes, orientées « Cloud ». Nous cherchons à concevoir des approches plus simples que les architectures « Cloud », sans dépendance vis à vis de l’infrastructure externe, ce qui a des propriétés intéressantes en termes de robustesse et de coût.
Qu’est-ce que le Pervasive Computing ?
C’est un terme qui vient du milieu des années 90, initié par Mark Weiser au Centre Palo Alto de Xerox et qui consistait à faire fondre l’informatique dans l’environnement de manière à ne plus avoir d’interactions explicites avec les ordinateurs. L’idée est d’avoir des services ou des applications qui fonctionnent de manière complètement implicite par rapport à nos activités. C’est quelque chose qui a été grandement facilité par la pénétration du téléphone mobile. C’est aussi une philosophie qui va au-delà de cet aspect. Avec un mobile, nous restons encore concentrés sur notre écran, alors que l’idée du Pervasive Computing est d’agir de manière complètement naturelle et que l’informatique soit « diffuse ». Cette dernière, omniprésente, va agir en arrière-plan, pour nous assister simplement en percevant ce que nous sommes en train de faire dans l’environnement.
Qu’est-ce que le projet Pervasive RFID ?
Le projet Pervasive RFID est une collaboration entre notre équipe du centre Inria Rennes et une équipe de l’IETR (Institut d’Électronique et des Technologies du numéRique) à Rennes. L’objectif du projet Pervasive RFID était d’étudier des approches innovantes sur les tags RFID passifs. Ce sont des étiquettes électroniques, il en existe de différentes sortes (LF, HF, UHF et SHF, actifs, passifs). Le paiement sans contact avec les mobiles est une forme d’étiquette électronique. Celles qui nous intéressaient dans le projet Pervasive RFID sont les étiquettes UHF (Ultra Haute Fréquence) pouvant être lues à assez grande distance, à 3, 4, 5, 10 mètres, et en grand nombre simultanément. C’est ce qui peut se passer dans certaines grandes surfaces quand on dépose ses articles dans une caisse automatique et qu’on voit s’afficher le montant total à payer à la fin. Plus globalement, on peut imaginer des étiquettes situées dans le sol, dans les matériaux de construction, dans tous les objets qui nous environnent. Ils pourront alors être détectés par des systèmes qui pourront de plus interagir avec eux. Par contre, lorsqu’on en place un peu partout, sans savoir a priori où elles vont être et dans quel matériau, on est confronté à des soucis de fiabilité et de lecture. C’est-à-dire qu’au lieu de toutes les lire, nous pourrons en lire que les 9/10 par exemple. C’est un gros problème parce que le système ne sait pas qu’il a manqué certains éléments, dans le cas d’une caisse automatique, le prix de certains objets ne sera pas pris en compte.
Avec Pervasive RFID, l’idée était de développer des méthodes pour rendre plus robuste cette lecture d’objets en masse. Une méthode plutôt logicielle a été développée du côté Inria. Nous utilisons une multitude de tags pour rendre plus robuste la lecture dans le sens où certains tags vont comporter des informations sur d’autres tags. Le fait qu’on puisse les lire va nous permettre de détecter des conditions d’erreur, ce qui va conduire le système d’essayer de relire la scène avec d’autres paramètres de lecture. C’est alors là qu’interviennent nos collègues physiciens de l’IETR, sur la reconfiguration du système radio, soit avec des paramètres de lecture différents, soit avec des antennes qui vont être orientées différemment. Parfois, la configuration des différentes antennes peut être elle-même modifiée électroniquement. Cela va donc permettre de faire une ou plusieurs nouvelles tentatives et ainsi d’essayer de récupérer les tags manquants.
Le projet a développé une plateforme robotisée comprenant des antennes mobiles et autorisant de faire bouger des objets dans une scène de manière à pouvoir reproduire les scénarios de lecture qui posent des problèmes. Les cas difficiles identifiés permettent ensuite de tester différentes méthodes pour évaluer celles qui fonctionnent le mieux par rapport aux problèmes rencontrés.
Quelles sont les perspectives au projet Pervasive RFID ?
Suite au projet Pervasive RFID, CominLabs nous a octroyé une action de valorisation, Tagri, avec un focus sur les applications agricoles afin d’étudier le comportement de la lecture RFID UHF en laboratoire mais reproduisant les conditions réelles rencontrées dans un champ. Ce projet s’est déroulé de fin 2019 à fin 2020. Cela nous a permis de qualifier les tags et les paramètres de lecture utilisés dans ce type de situation. Actuellement, dans le cadre du projet Tagri, des pilotes sont en cours de déploiement sur deux vignobles : Château Guiraud et Vignobles Chéneau.
Est-ce que le logiciel et les éléments que vous avez développés sont applicables dès aujourd’hui ?
Certains principes, qui avaient été conçus avant le projet, ont déjà été déployés dans l’industrie. Par contre, il n’avait jamais été développé un système pour étudier de manière systématique les situations complexes. Les problèmes rencontrés étaient résolus de manière spécifique, au cas par cas, sans méthodes automatisées ou une approche systématique.
Depuis le projet Pervasive RFID et pendant l’action d’innovation Tagri, il y a eu des développements en collaboration avec des industriels.
Il y a notamment un projet de startup, AgriBIoT, autour du domaine viticole. Dans le cas de la startup, il s’agit d’utiliser des tags permettant de caractériser des situations à problèmes sur la vigne, des tâches à faire, des traitements qui peuvent être appliqués. Aujourd’hui, ces pilotes sont en partie déployés chez des clients et sont directement issus de résultats de la plateforme RFID du projet avec laquelle nous avons pu expérimenter les cas difficiles qu’on pouvait rencontrer pour lire des tags dans un vignoble. Un vignoble présente des situations extrêmement variables liées notamment aux conditions météorologiques, qui vont rendre plus ou moins facile les lectures. Par exemple, l’eau absorbe les bandes d’ondes utilisées par les tags UHF. Il est donc très important de pouvoir caractériser le comportement de cette technologie en condition quasi réelle et de mettre en place les bons paramètres pour les lecteurs à déployer ensuite dans le vignoble.
Quelles sont les applications concrètes possibles par rapport à ce domaine ?
Cette technologie peut avoir différents impacts. Elle permet de marquer certaines propriétés pour une zone donnée, comme par exemple le fait qu’elle soit à surveiller parce qu’elle est sujette au développement d’un parasite. Elle peut servir également à la traçabilité de procédés agricoles. C’est très intéressant dans le cadre des labels, par exemple, où les quantités d’utilisation de certains produits sont limitées. Au sein d’un même champ, on peut avoir différentes qualités de produit parce qu’on n’a pas appliqué les mêmes méthodes. Le tag RFID, contrairement au GPS, permet une meilleure précision de positionnement, mais également une couverture tridimensionnelle comme la hauteur d’une vigne. On peut donc avoir un suivi très fin de ce qui est fait ou de propriétés particulières qui touchent un pied de vigne par exemple.
C’est un des aspects de l’agriculture de précision.
Si, par exemple, on voit qu’il y a un secteur qui représente 10% de la surface d’un champ où l’on peut éviter des traitements phytosanitaires, c’est possible de le marquer. Cette technologie va permettre à un véhicule piloté automatiquement d’appliquer sélectivement le produit, au lieu de traiter tout le champ sans distinction. La production non traitée pourra bénéficier d’une valeur ajoutée, en étant éligible à un label « bio » par exemple.
Nous envisageons également une collaboration avec l’INRAE (Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’alimentation et l’Environnement) afin de marquer et de permettre aux chercheurs de suivre pied par pied des propriétés de plantes.
En quoi le tag RFID est différent des autres innovations dans le domaine des systèmes automatiques ?
Dans ce domaine, la spécificité de la RFID est qu’elle n’a pas besoin de batterie.
Aujourd’hui, c’est assez facile de connecter un appareil ou un équipement qui est déjà un peu sophistiqué, comme une TV ou une voiture, parce que lui ajouter un peu d’électronique n’est généralement pas très cher et physiquement possible. S’il s’agit de rendre connecté un objet passif comme des dalles de moquette, un vêtement, des plantes ou même des animaux, le problème de l’intégration et de la maintenance de l’interface connectée devient compliqué. La RFID présente justement de très bonnes propriétés à cette fin, puisqu’il est microscopique, la puce en elle est à peine visible, et l’intégration de l’antenne permet souvent de s’adapter à de nombreuses formes. De plus, sa durée de vie peut être aussi longue que celle de l’objet sur lequel il est fixé. Par exemple, quand il s’agit de matériaux de construction, c’est plus intéressant d’avoir un objet passif comme le tag RFID. Si, dans 20 ans, on veut, par exemple, revoir les propriétés d’isolation ou faire un diagnostic, utiliser des objets dans lequel il faudrait changer des batteries serait forcément plus compliqué. Accéder à des informations stockées ailleurs (cloud) est possible mais pas toujours facile à garantir sur le long terme ; alors que là, puisque c’est couplé avec le monde physique, il n’est pas nécessaire de s’occuper de la maintenance de l’objet ni d’une infrastructure de support associée afin de pouvoir, plus tard, lire les informations qu’il contient.
Quand est-il de la sécurité concernant le tag RFID UHF, les données qu’il contient et son utilisation ?
C’est une très bonne question. Ces objets, comme tout objet numérique, peuvent être potentiellement attaqués. Il y a deux aspects de sécurité.
Le premier concerne la sécurité physique du tag et des données qu’il contient. On peut, par exemple, chercher à cloner les informations qui sont dans un tag et un tag non légitime va pouvoir se faire passer pour un autre. On peut également chercher à modifier des informations qui sont contenues dans un tag puisqu’il y a certains tags dont les informations sont modifiables. Il existe tout un domaine de recherche, qui n’est pas le mien, sur la sécurité des petits objets embarqués. Ils emploient différentes techniques de cryptographie, des méthodes afin de chercher à limiter les attaques physiques en faisant en sorte que l’objet soit rendu inutilisable si jamais il est corrompu ou qu’on tente de l’ouvrir ou de le pénétrer physiquement.
Le second aspect concerne la vie privée. Si l’ensemble des objets que l’on porte ou qui nous environnent contiennent des informations, cela rend forcément la traçabilité de la vie privée de plus en plus fine et c’est un gros problème. Cela fait partie des problèmes de recherche que nous étudions actuellement. Dans les approches développées dans l’équipe-projet EASE, nous souhaitons éviter de concentrer dans des bases de données, dans des infrastructures distantes, les informations qui sont portées par les objets. Nous cherchons, dans le cas des objets, à éviter de les associer à identifiants (de personnes), ou à des données pouvant servir indirectement d’identifiants, afin de réduire les risques concernant la vie privée. Par exemple, pour la gestion de déchets, si le tag intégré à un conteneur ne contient que les descripteurs de matières contenues, il y a beaucoup moins de risque pour la vie privée que s’il contient un identifiant référençant le domicile à associé, dans une base accumulant les produits jetés.
Qu’est-ce que le cadre et le soutien du labex CominLabs ont apporté au projet ?
La première caractéristique que j’ai beaucoup appréciée est la rapidité de mise en œuvre et la faible charge administrative qui est souvent associée aux projets de recherche. Si nous l’avions réalisé dans un cadre plus classique comme un appel d’agence nationale ou au niveau européen, cela aurait mis beaucoup plus de temps. Puisque c’était un projet qui était assez risqué, nous aurions eu certainement des échecs sur les premières soumissions. Nous aurions pris du retard, alors que le cadre de CominLabs est agile. Nous avons pu faire une pré-proposition, et avoir un retour du comité du labex assez rapidement. Nous avons alors pu monter ce projet et cette collaboration qui ont abouti à ces résultats de manière simple et efficace.
Deuxièmement, ce projet a fait collaborer pour la première fois des électroniciens du monde des antennes avec des informaticiens qui étaient d’une autre culture, et pourtant dont les laboratoires respectifs ne sont distants que de quelques centaines de mètres !
C’est un dispositif qui a été d’une grande aide, car pour certains profils de projets, je ne pense pas qu’il y ait d’équivalent dans le cadre français, ni même européen.
Pour en savoir plus, vous pouvez aller sur le site du projet Pervasive RFID (site en anglais).