Isabelle Fantoni, Directrice de recherche CNRS et responsable adjointe de l’équipe ARMEN, LS2N.
Directrice de recherche et responsable adjointe de l’équipe ARMEN (Autonomie des Robots et Maîtrise des interactions avec l’Environnement) au LS2N, Isabelle Fantoni est experte en commande de systèmes robotiques et maitrise les enjeux liés au contrôle de robots aériens. Ces compétences, acquises au fil de ses expériences, lui ont permis de contribuer activement aux projets CominLabs MAMBO et LEASARD. À travers cet entretien, Isabelle nous partage son parcours, son implication dans ces projets et ses réflexions sur la place des femmes dans le milieu de la recherche en robotique.
Dès son plus jeune âge, Isabelle nourrit une véritable appétence pour les sciences, avec une prédilection pour les mathématiques et la physique. Après son baccalauréat et une formation de classes préparatoires aux grandes écoles, elle intègre l’Université de Technologie de Compiègne (UTC) pour y effectuer un parcours d’ingénieure. C’est durant ces années d’apprentissage qu’une professeure passionnée éveille en elle un vif intérêt pour l’automatique, une discipline qui lui ouvre de nouvelles perspectives. Isabelle clôture ce cycle avec une année de Master à Cranfield, près de Londres, où elle découvre le monde de la recherche. De retour à l’UTC, elle entame un second Master (DEA à l’époque) en « contrôle des systèmes », thématique qui l’accompagnera tout au long de sa thèse. Spécialisée en automatique, Isabelle s’ouvre progressivement à la robotique en fin de parcours doctoral, amorçant ainsi un nouveau chapitre de sa carrière scientifique.
« La loi de commande que l’on crée mathématiquement, que l’on simule d’abord sur ordinateur, peut ensuite être implémentée et testée physiquement sur un banc d’essai. C’est ce que j’ai fait pendant ma thèse, et j’ai beaucoup aimé ce processus car il donnait vie à des concepts théoriques. La robotique me permettait de faire le lien avec le monde réel. Vers la fin de ma thèse, je me suis penchée sur la modélisation d’un drone aérien et ses équations de commande, et c’est à ce moment-là que j’ai découvert l’intérêt de ces systèmes volants innovants. »
A une époque ou les drones aériens ne sont pas encore démocratisés, Isabelle s’intéresse à ces outils et en fait l’une de ses spécialisations. A la suite de son doctorat, la chercheuse devient chargée de recherche puis directrice de recherche à Compiègne avant d’arriver au LS2N, sur le site de l’école Centrale Nantes.
Ses thématiques de recherche s’organisent principalement autour de la commande de systèmes robotiques avec une spécialisation sur la robotique aérienne, notamment les drones aériens et les robots mobiles. Ses travaux concernent à la fois la commande de robots individuels et de flottes de robots, notamment des flottes de drones aériens.
Depuis son arrivée à Nantes au sein de l’équipe ARMEN, ses recherches se sont orientées vers des systèmes mécaniques innovants, en collaboration avec des collègues spécialisés en mécanique. La chercheuse s’intéresse à la commande de drones équipés de bras manipulateurs capables d’agir sur l’environnement, et explore les possibilités de manipulation avec des bras souples et des robots aériens non rigides.
Isabelle a pu mettre ses connaissances au service de deux projets CominLabs s’articulant autour de la thématique des drones. Le premier, MAMBO[1], vise à développer un démonstrateur composé de deux drones reliés par un corps souple et à contrôler la déformation de ce corps souple. L’un de ses principaux défis est d’ajuster le comportement des drones, car ils doivent habituellement s’incliner pour se déplacer, ce qui devient plus complexe avec une structure à manipuler. Pour surmonter cela, le projet explore des solutions visant à rendre les drones complètement actionnés en ajoutant ou modifiant l’orientation des moteurs, permettant ainsi un meilleur contrôle des corps souples.
Dans ce projet, Isabelle et les collègues qui travaillent sur le projet se concentrent sur la sélection et l’adaptation des drones pour permettre un contrôle optimal de ces corps souples. Il s’agit d’étudier quel type de drone est le mieux adapté ou comment modifier un drone pour répondre aux besoins spécifiques du projet. A ce titre, Isabelle était impliquée dans les discussions concernant la partie « commande des drones ».
Le second projet, LEASARD[2], vise à accroître l’autonomie de navigation des drones de recherche et de sauvetage tout en optimisant leur consommation énergétique. Dans ce cadre, la chercheuse et son équipe ont d’abord joué un rôle d’intégrateurs, permettant à leurs collègues brestois, dont l’objectif était de concevoir des cartes électroniques à faible consommation, de tester leurs algorithmes sur les drones de l’équipe nantaise. Bien que la commande des drones ne soit pas centrale dans ce projet, Isabelle a pu apporter son expertise sur les capacités des drones aériens à embarquer des nouveaux capteurs, s’intéressant aux caméras embarquées et à leur traitement d’image, notamment en comparant les performances des caméras standards avec des caméras événementielles. Son rôle s’est donc orienté davantage vers l’aspect vision, une thématique liée à la perception, une des composantes de l’équipe ARMEN dont elle est la responsable adjointe.
Dans un domaine encore largement représenté par des hommes, Isabelle Fantoni parvient à faire entendre sa voix et partage ses réflexions sur la place des femmes dans cette discipline.
Membre du comité national du CNRS et directrice du groupement de recherche en robotique, elle observe les dynamiques de parité au sein de ce milieu scientifique.
« Il est difficile d’obtenir les chiffres précis en termes de parité dans notre domaine. Lors des recrutements au comité national, nous essayons d’atteindre au moins 20 à 25% de femmes mais ce n’est pas simple car il y a peu de candidates. Je ne suis pas certaine que la situation s’améliore, sans pour autant constater une réelle baisse. Les chiffres varient d’une année à l’autre. »
Cette difficulté persistante à recruter de jeunes chercheuses dans ces domaines très techniques, Isabelle ne l’explique pas seulement par un manque d’intérêt potentiel pour les matières scientifiques.
« J’ai peur que beaucoup de jeunes filles se disent qu’elles ne sont pas à la hauteur, que c’est trop difficile. Ce climat de compétition, souvent présent dans nos métiers et amplifié dans l’imaginaire collectif, peut être un frein important. »
Pour surmonter ces obstacles, la chercheuse évoque des pistes qui pourraient favoriser une plus grande diversité dans la recherche en robotique.
« Il faudrait atténuer cette image de compétition et communiquer davantage sur le côté collégial, le travail en équipe. Chaque personne est utile et participe à la construction d’un système. Il serait utile que les écoles d’ingénieurs et les filières scientifiques valorisent davantage cet esprit de collaboration plutôt que la compétition pour rétablir un meilleur équilibre. »
La chercheuse observe que certaines jeunes filles rencontrées lors d’échanges entre lycéennes et chercheuses souffrent d’un manque de confiance en elles qui pourrait influencer leur orientation future.
Pour remédier à cela, Isabelle insiste :
« Il faut que les jeunes filles réalisent qu’elles ont déjà surmonté de nombreuses étapes pour arriver là où elles sont et qu’elles ont acquis les compétences et l’expérience nécessaires. »
Elle souligne que le syndrome de l’imposteur est fréquent, mais qu’il est important de se rappeler de son propre parcours. Isabelle explique que certaines femmes ressentent parfois le besoin de redoubler d’efforts pour prouver leur valeur, bien que cela ne soit pas toujours nécessaire.
Pour encourager les jeunes filles à embrasser des carrières dans la recherche, elle met en avant certains avantages liés au fait d’être une femme dans ce domaine, comme la parité salariale dans la fonction publique et les opportunités accrues d’être sollicitées dans des comités, pour lesquels il est, par contre, indispensable de sélectionner les comités qui nous intéressent le plus pour ne pas tomber dans les travers inverses de surcharge.
Enfin, la chercheuse les invite à trouver des équipes bienveillantes et à se renseigner sur les outils comme le mentorat, qui peut être une excellente source de soutien. Son message central est simple : elles ont toutes leur place dans ce domaine et doivent se faire confiance.
[1] Manipulation with Multiples drones for soft Bodies
[2] Low energy deep neural networks for autonomous search and rescue drones