Journée internationale des femmes et filles de sciences, découvrez le portrait d’Elsa.

Elsa Dupraz, Maîtresse de conférences, IMT Atlantique.

Maîtresse de conférences à l’IMT Atlantique au sein du laboratoire Lab-STICC, Elsa Dupraz nous retrace son parcours, de ses premiers pas dans l’informatique à ses projets de recherche en codage de canal. Entre passion et persévérance, elle a su mettre à profit ses compétences dans des projets CominLabs tels que CoLearn, dnarXiv, et une chaire internationale portée par le LabEx. Elle partage ici son parcours, son engagement dans ces projets, et ses réflexions sur l’évolution de la parité dans la recherche scientifique.

Passionnée d’informatique dès le plus jeune âge, Elsa commence rapidement à suivre des cours, apprend à coder et à programmer des sites et explore les possibilités offertes par le web des années 90. Adolescente, elle se projette  dans une carrière de recherche et oriente ses études de manière à atteindre cet objectif. Après l’obtention de son baccalauréat et deux années de classes préparatoires, elle intègre l’ENS de Cachan[1]. Cependant, elle est confrontée à une désillusion par rapport à l’idée qu’elle se faisait de la recherche, nourrissant des craintes de se sentir enfermée dans les sciences ou de ne pas suivre ses aspirations profondes. C’est grâce à un projet de recherche effectué en deuxième année qu’Elsa redécouvre sa passion et renoue avec ses ambitions premières.

« Lors de ma deuxième année à l’ENS, j’ai pu travailler sur un projet puis réaliser un stage de recherche durant l’été. Ces deux premières expériences, l’une en traitement d’image et la seconde en traitement du son, m’ont confortée dans l’idée que ça me plaisait beaucoup. J’ai pu expérimenter, prendre des initiatives et travailler en autonomie. La vocation, c’est-à-dire, la volonté de faire de la recherche pour des raisons plus concrètes, est venue de là. »

Heureuse d’avoir pu explorer en autonomie ces domaines à la croisée des mathématiques et de l’informatique, Elsa oriente son master vers les télécommunications qu’elle poursuit dans les écoles Supélec et Université Paris-sud[2]. Elle y découvre ses sujets de prédilection, tels que les réseaux, le codage et les télécommunications en général, et approfondit ses connaissances à travers une thèse sur la compression de données. Son objectif se clarifie, elle souhaite devenir enseignante-chercheuse. Pour étoffer son parcours, elle effectue une partie de son post-doctorat à l’Université d’Arizona à Tucson, puis la seconde à l’ENSEA à Cergy-Pontoise. A la fin de son parcours académique, Elsa décroche un poste de maîtresse de conférences à l’IMT Atlantique de Brest et obtient son habilitation à diriger des recherches en 2023.

Aujourd’hui, les recherches menées par la chercheuse s’articulent autour du codage de canal ou codes correcteurs d’erreurs. Cette discipline permet de protéger les informations transmises ou stockées contre les erreurs dues aux distorsions pendant la transmission, comme des interférences ou des perturbations. En ajoutant des informations supplémentaires, elle permet au récepteur de corriger les erreurs qui ont été introduites et de récupérer les données d’origine. Utilisée d’abord dans les télécommunications et le stockage de données sur disque dur, elle s’applique aujourd’hui à d’autres domaines comme le stockage sur ADN ou le calcul en mémoire.

Toutes ces connaissances, Elsa les a mises au service de plusieurs projet CominLabs dans lesquels elle a activement participé.

Le premier, CoLearn, dont elle est la coordinatrice, vise à améliorer la compression des données pour permettre l’apprentissage automatique sur des données compressées. Actuellement, la compression, comme avec le format JPEG pour les images, réduit la taille des données mais rend plus difficile leur interprétation pour les machines, car elle « casse » la structure des données originales. L’objectif de CoLearn est donc de repenser la compression pour que les données puissent être soit reconstruites si nécessaire, soit utilisées efficacement sans décompression préalable pour des tâches comme la classification ou la recommandation.

Dans le second, DnarXiv, dont l’objectif est de pouvoir stocker des données sur de l’ADN, Elsa intervient en tant qu’experte codage de canal. Bien qu’arrivée en cours de route dans le projet pour pouvoir encadrer un doctorant, Elsa s’intéresse plus qu’attendu à cette thématique et met ses compétences au service de ce projet, contribuant à assurer la fiabilité des données stockées sur ce support innovant.

Enfin, Elsa participe activement dans la chaire internationale IoTAD-CEO[3] dont elle est co-responsable aux côtés de Tadashi Matsumoto. Cette dernière porte sur des configurations complexes de transmission avec plusieurs émetteurs et récepteurs, et se concentre sur des tâches simples de prise de décision, comme la détection d’événements à partir de données compressées (par exemple, détecter un feu de forêt). Le projet combine les domaines des télécommunications  et de l’apprentissage sur données compressées.

En 2024, Elsa reçoit le prestigieux « prix Espoir IMT-Académie des sciences[4] » pour ses travaux sur le codage de canal, une reconnaissance majeure dans ce domaine ou les femmes restent sous-représentées. En décrochant ce prix, qui distingue des chercheurs et des chercheuses ayant fait progresser des « problématiques industrielles ou entrepreneuriales au service d’une économie durable », Elsa devient à son tour un modèle de réussite et d’inspiration.

Au sujet de la parité dans la recherche la chercheuse explique :

« J’ai l’impression qu’il y a quand même une vraie réflexion ces dernières années sur toutes les questions, notamment de biais, que ce soit dans la manière dont le travail des femmes est perçu ou dans la façon dont nous, en tant que femmes, nous nous percevons. Je trouve que nous abordons aujourd’hui les bonnes questions, bien plus qu’il y a quelques années, et je suis plutôt optimiste quant à la poursuite des changements à venir.»

Selon Elsa, l’instauration de quotas par exemple dans les comités de recrutement est une avancée positive, car elle permet de réduire les décisions influencées par des préjugés de genre, et ce, dans les deux sens. Elle partage sa réflexion sur les biais qui s’installent dès l’enfance et se renforcent tout au long de notre vie quotidienne.

« Encore aujourd’hui, on catégorise facilement les enfants en assignant, par exemple, des jeux de construction aux garçons et des poupées aux filles. Ces biais se prolongent à l’école, où les enseignants, souvent sans s’en rendre compte, peuvent perpétuer l’idée que les garçons sont meilleurs en mathématiques. »

Les biais de genre influencent notre perception des compétences en sciences dès l’école primaire. Elsa souligne que des études montrent que filles et garçons ont des compétences similaires en mathématiques à la fin de la maternelle mais qu’à la fin du CP, les garçons obtiennent souvent de meilleurs résultats[5]. Cela s’explique probablement en raison des biais véhiculés par l’école et des attentes différenciées envers les enfants selon leur genre.

« Pour y remédier, je pense qu’il est essentiel de former les enseignants et les parents à reconnaître et à éviter ces biais, afin de traiter filles et garçons de la même manière. Cette prise de conscience encouragerait davantage de jeunes filles à se projeter dans des carrières scientifiques et permettrait de mieux détecter les inégalités. Je pense qu’il serait aussi pertinent de présenter des modèles féminins dès le plus jeune âge, pour montrer que ces carrières sont tout aussi accessibles aux filles qu’aux garçons. »

Engagée dans l’objectif d’améliorer la parité dans la recherche, Elsa participera, le 27 février prochain, à la journée « Filles, mathématiques et informatique : une équation lumineuse !» accueillie par l’INSA Rennes. Cet événement permettra à des lycéennes de rencontrer des chercheuses, d’échanger des expériences et de répondre aux questions des nouvelles générations. À cette occasion, Elsa souhaite partager plusieurs conseils :

« D’abord, il faut échanger avec des femmes qui évoluent dans ces carrières pour s’inspirer et comprendre leur parcours. Il faut être consciente que nous avons parfois du mal à nous sentir légitimes, mais il est important d’oser lorsque l’on est passionnée. Le second conseil essentiel c’est donc de choisir un métier qui nous plaît vraiment. Si vous adorez les mathématiques ou la physique, il est plus important de se concentrer sur la passion pour ces disciplines que sur le sentiment de légitimité. »

La chercheuse encourage les jeunes filles à se lancer sans trop se poser la question du « suis-je capable ? », car la motivation et le plaisir à exercer un métier sont des moteurs plus puissants. Au final, si c’est réellement ce qui nous passionne, il est essentiel d’oser tenter sa chance et de se lancer, en surmontant les doutes et les incertitudes.


[1] Ecole normale supérieure de Cachan devenue ENS de Saclay

[2] Ecoles devenues respectivement Centrale Supélec et l’Université Paris-Saclay

[3] IoT Network Analysis and Design https://project.inria.fr/chairiot/

[4] https://www.imt-atlantique.fr/fr/actualites/dupraz-prix-imt-academie-sciences

[5] Émergence d’écarts entre filles et garçons en mathématiques à l’école primaire, Pauline Martinot, Collège de France. https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/grand-evenement/genre-et-sciences/emergence-ecarts-entre-filles-et-garcons-en-mathematiques-ecole-primaire

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